Le loup :
Toi aussi tu veux me descendre ? Vas-y, c’est facile.
Patrice : Non, je veux juste savoir qui tu es.Le loup : Je suis « le loup du Haut-Doubs », comme vous m’appelez. Je suis arrivé là par hasard, chassé de la meute par mon grand-père, le chef.Patrice : D’où viens-tu comme ça ?
Le loup : Des Alpes. Un peu traumatisé, j’ai parcouru des dizaines de kilomètres chaque nuit avant d’arriver ici.

Patrice : Tu sais que tu as fait beaucoup de dégât… ton appétit est féroce.
Le loup : Bien sûr, il y a de la nourriture à foison ici, il n’y a qu’à se servir. Je reconnais que j’ai encore du mal à maîtriser mes pulsions, mon instinct naturel me pousse à tuer plus que je ne peux manger dans l’immédiat. Mais je n’ai pas encore de garde-manger et, quand je reviens après la sieste ou le lendemain, pour prendre les restes de mon repas, les renards, les hommes ou les corbeaux s’en sont occupé. Je n’ai donc plus qu’une solution… tuer à nouveau. Maintenant, si les enclos étaient mieux faits, je ne me risquerais pas dans les parcs à moutons. Mais voilà, l’homme est aussi paresseux que moi, alors…

Patrice : Visiblement tout de même, tu as plus grand oeil que grand ventre.
Le loup : Je dois me maîtriser, je fais des efforts pour ça. C’est difficile pour moi, car vos moutons sont vraiment bons ! Et puis, dis-moi, vous les hommes, vous vous donnez bien le droit de tuer par plaisir avec la chasse, et vous vous gavez abondamment sans que cela vous gêne. Il me semble que, plus souvent qu’à mon tour, vous mangez et buvez au-delà de la raison, non ?

Patrice : Néanmoins, malgré tes supposés efforts, tu croques encore et restes l’ennemi public n°1.
Le loup : J’ai bien compris que tout le monde veut ma perte : les agriculteurs de la FNSEA qui sont plus agressifs que moi et à qui je ne cause pourtant aucun tort ; les chasseurs pour qui je suis un concurrent ; certaines familles qui ont l’image du loup dévorant les enfants et les grand’mères ; le Préfet qui souhaite la tranquilité de la région ; les politiques qui ne pensent qu’aux prochaines élections ; la presse régionale qui monte l’opinion contre moi ; jusqu’à Monseigneur l’archevêque qui réclamait ma tête ayant sans doute oublié que c’est Dieu qui m’a créé… !

Patrice : Je vois que tu es très au fait de la situation. Mais justement, on a entendu dans une conférence à ton sujet un responsable d’un syndicat agricole, demander : « A quoi ça sert, un loup ? »
Le loup : Je pourrais facilement lui retourner la question à propos de l’homme, quand on voit tous les dégâts qu’il engendre à travers le monde avec son attitude égoïste, arrogante et irresponsable. Il élimine tout ce qui ne lui rapporte rien ou le gêne dans son fonctionnement capitaliste, et va jusqu’à faire disparaître des espèces entières. Un jour, il s’auto-éliminera. Quant à moi, je chasse normalement et tout naturellement les ongulés, souvent faibles ou malades. Il m’arrive même de manger du campagnol, mais je préfère ne pas y toucher en ce moment avec cette bromadiolone qu’on répand dans votre région, qui empoisonne les sols. Plutôt que de laisser les renards faire leur travail de prédateurs… on les tire la nuit, prétextant un surnombre !

Patrice : Mais… tu as beaucoup de verve pour un animal que l’on dit blessé…
Le loup : Approche, n’aie pas peur… vois-tu la moindre blessure par balle ? Ma tête est mise à prix bien sûr, on me guette jour et nuit, et je suis moi-même aux aguets. On a fait croire qu’on m’avait touché. Mais par cette annonce, on se couvre comprends-tu : si je suis tué par un chasseur non autorisé, on dira que c’est l’éleveur qui l’a fait. On peut aussi m’enterrer et dire que je suis allé crever dans un coin ou que j’ai fui… sans risque d’être démasqué puisqu’hormis les vrais amis de la nature, personne ne réagira. En tout cas, sache qu’il ne faut jamais vendre la peau du loup avant de l’avoir tué.
Allez, salut, je vais voir si je peux grailler une nouvelle fois quelque chose du côté de Chapelle-d’Huin…

(histoire rapportée par Jean-Pierre TONNIN)

Malheureusement notre bon loup qui a fait la Une en automne 2011 a été tragiquement tué par un véhicule sur la route de Pontarlier (juste avant Le Souillot) le mardi 13 mars 2018.

(Photo : Raphaël Faivre).