Né en 1736 sous le règne monarchique de Louis XV, Nicolas Ledoux traverse la Révolution pour achever sa vie sous le Premier Empire de Napoléon. Si ces différentes formes de gouvernance n’ont pas directement influencé son travail, ce dernier incarne l’Esprit des Lumières tel que le définit Kant : « Aie le courage de te servir de ton entendement. Voici la devise des lumières. ».

En effet, l’esprit scientifique et la foi dans le progrès amènent les intellectuels à découvrir les lois de fonctionnement des sociétés humaines autant que celles de la matière. C’est dans ce contexte qu’en 1774, face à la pénurie de bois dont souffre Salins-les-Bains (lieu d’extraction du sel), le roi commande à Claude-Nicolas Ledoux la construction d’une nouvelle manufacture royale capable de fournir 60.000 quintaux de sel par an. Sa localisation est fixée entre la source salée de Salins et la forêt de Chaux, inépuisable réserve de combustible. Construite en un temps record, l’usine débute ses activités en 1779. Bien plus qu’une usine à sel, cet ensemble colossal (cf. schéma ci-contre) à l’effet théâtral, inscrit Claude-Nicolas Ledoux au Panthéon des architectes.

Si le plan en demi-cercle de la Saline préfigure la cité idéale, Ledoux rêve en secret à la réalisation du second demi-cercle qui donnerait naissance à la ville idéale de Chaux, fruit de longues années de réflexion.
Il imagine une ville en fonction des besoins de la vie sociale et domestique de ses habitants.
Outre les ateliers dédiés aux activités économiques, de nombreuses constructions y figurent : église, écoles et université, marché couvert, hospice, bains publics, ou encore maison de gymnastique. Considérant que la mission de l’architecture est de « permettre aux hommes, aux habitants de vivre une vie agréable et utile » Ledoux s’affiche comme un des premiers à lier concrètement le destin de l’architecture à celui de la ville.

Ce projet est empreint d’un rôle social, d’une fonction philosophique :  « permette l’épanouissement de la personne ».
Même si l’urbanisme n’est considéré comme une discipline à part entière qu’à partir de 1910, la conception du complexe industrie-habitat de Salins-les-Bains fait de Ledoux un urbaniste. Il conçoit la ville comme un système complexe d’ensembles différents, dans lequel organisation physique et projet de société sont assimilés. Mais dans le cadre de sa cité idéale, théorisée dans son traité « l’Architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation», Ledoux a volontairement omis la prison. Ce détail marque le point de départ d’une architecture qui s’enracine dans les principes naturels du Contrat Social de Rousseau où l’individu renonce à une liberté absolue et se soumet aux règles dictées par l’intérêt général. Cette utopie architecturale, qui met en lumière une foi quasi-religieuse dans le pouvoir politique de l’architecture, servira de référence et de sources d’inspiration aux plus grands architectes du 20ème siècle. 

Laura Franco